Devant gérer des budgets de recrutement en baisse pour cause de conjoncture économique passablement dégradée, les directeurs de ressources humaines et responsables du recrutement sont soumis à une forte pression de la part de leurs clients internes, les managers, qui les enjoignent de continuer à recruter les indispensables - et rares - talents de demain. Un impératif : surtout ne pas se tromper, sous peine de déconvenues financières et organisationnelles.
En ce début 2009, un sujet préoccupe particulièrement les directions des ressources humaines : comment ne pas se tromper en recrutant leurs futurs collaborateurs dans un contexte qui reste marqué - paradoxe - par des tensions sur le marché de l'emploi des cadres ? « Du coup, en tant que DRH nous avons une quasi-obligation de résultat en matière de recrutement », reconnaît Yves Desjacques, DRH du groupe Casino. Autrement dit, si le contexte économique actuel et son lot d'incertitudes imposent de peser mûrement une décision de recrutement, une fois prise, cette dernière doit se couronner de succès. « Dans ce contexte difficile, les missions de recrutement s'allongent et l'on recherche de plus en plus le fameux mouton à cinq pattes, analyse Eric Hauptmann, directeur du cabinet de recrutement Solution RH et auteur du livre « LLe guide du candidat recruté ». Les entreprises n'ont pas d'autres choix que d'embaucher des profils stratégiques qui assureront leur croissance future, mais elles ne doivent pas se tromper car, crise oblige, elles ne pourront pas embaucher beaucoup cette année. »
Echec coûteux
Par ces temps de disette budgétaire, une erreur de recrutement (qui se solde souvent par un départ prématuré du collaborateur) n'est pas sans conséquence. « Entre la définition du poste qui mobilise les équipes RH et le département concerné, les annonces dans la presse, les entretiens, la formation, l'intégration du nouveau salarié, son éventuel licenciement et les frais de relance du recrutement, le coût total d'un recrutement qui a échoué peut s'échelonner entre six mois et un an de salaire de l'intéressé », estime Pierre Polycarpe, consultant chez le fournisseur d'outils de recrutement Taleo.
Quant aux conséquences « non chiffrables », elles peuvent se révéler plus dommageables encore : dégradation du service, perte de contrats ou encore altération de l'image de l'entreprise vis-à-vis de clients confrontés à des interlocuteurs « incompétents », peu concernés ou changeants.
En interne, les écueils existent aussi. « Le départ, non planifié, d'un salarié engendre souvent une «réorganisation» du service où il était affecté puisque ses collègues doivent assumer une charge de travail accrue jusqu'à l'arrivée d'un nouveau collaborateur », souligne Frédéric Garde, chargé des ressources humaines de PCM, spécialiste des pompes volumétriques et des systèmes de dynamique des fluides (400 salariés). En outre, « dans le cadre d'une enveloppe budgétaire restreinte par la crise, comment éviter la déception de collaborateurs méritants, qui n'ont pas reçu d'augmentation, alors que plusieurs milliers d'euros auront été dépensés en pure perte », résume Charles Pouvreau, directeur au sein du cabinet de recrutement Mercuri Urval.
Même si une embauche ne peut pas se réduire à une savante équation mathématique, les entreprises s'efforcent d'optimiser leurs processus pour minimiser les « erreurs de casting ». Et définissent, en amont et au plus fin, leurs besoins et le profil recherché portant une attention toute particulière au descriptif de poste et aux compétences, qualités et expérience requises. Un stade auquel Frédéric Garde, chez PCM, associe à la DRH des responsables de niveaux divers : « Un directeur de département n'a pas la même façon d'appréhender les choses que le numéro un, responsable opérationnel du service. Il s'attachera, par exemple, davantage à la vision à long terme de l'activité et au besoin futur et donc à l'évolutivité de la personne recrutée. De son côté, le responsable de service aura plutôt tendance à valider si le candidat répond à ses attentes à très court terme », explique-t-il.
Une fois la politique de communication de recrutement définie (valeurs véhiculées, image) et lancée (annonces), il importe de se montrer à la fois réactif (ne pas rater les bons candidats déjà très sollicités), sans verser dans la précipitation... Car il est risqué de sélectionner un candidat « faute de mieux ». « Il est indispensable de prendre le temps nécessaire pour expliquer le poste, son cadre d'action, les contraintes associées, les traits marquants de la culture d'entreprise, conseille Yves Desjacques. «Survendre» un poste est une très mauvaise idée, car l'atterrissage peut être catastrophique tant pour le nouveau collaborateur que pour l'entreprise. »
« Jouer la transparence »
Les outils abondent (tests psychotechniques de personnalité, d'intelligence ou même émotionnels) pour tenter d'objectiver la décision finale. Mais les entreprises misent de plus en plus sur la formation des premiers concernés : leurs managers opérationnels. A l'instar du groupe d'assurances Mutuel, en Suisse, qui forme systématiquement ses équipes aux entretiens de recrutement, lors de deux jours de séminaire. « Nous les avons notamment confrontés à des chômeurs (jeux de rôle) à qui ils ont fourni un «feedback» utile pour ces derniers, commente Ludovic Bruchez, responsable recrutement et projet au sein de la DRH du groupe . Nous avons insisté sur la dimension comportementale et la personnalité du candidat. Résultat : en un an, les départs prématurés, que nous avions attribués après analyse à un mauvais recrutement, ont baissé de 50 % CQFD. »
Autre démarche cruciale : assurer la « rétention » du collaborateur, en veillant, notamment à la qualité de son intégration dès les premières semaines. « Nous sommes particulièrement attentifs durant la période d'essai en organisant des points réguliers avec le nouvel embauché et son responsable, explique Frédéric Garde. C'est l'occasion de rectifier le tir si besoin est. » Car, selon Pierre Polycarpe, chez Taleo : « De récentes études ont montré qu'une grande majorité de collaborateurs quittant leur entreprise deux ans seulement après leur arrivée avaient pris leur décision au cours du premier mois. » A l'image de François, recruté comme directeur des achats d'une grosse PME francilienne. « A mon arrivée dans l'entreprise, il y a quelques mois, je n'avais ni PC ni bureau attitré. On m'a fait savoir que cela allait bientôt venir. J'ai trouvé cela franchement déplacé alors que j'avais pris des risques pour venir en quittant mon job précédent. Le reste était à l'avenant. Du coup, j'ai vite cherché ailleurs. » Certes, pour l'heure, les velléités de mobilité des cadres sont ralenties par la crise. Mais le risque demeure.
DRH d' Ekkyo, une start-up aixoise spécialisée dans le domaine du laser chirurgical, qui s'apprête à doubler ses effectifs, Corinne Schöner en a conscience : « Nous sommes 20 dans l'entreprise. Autant dire qu'un recrutement raté peut être lourd de conséquences. Ma recette : jouer la transparence avec le candidat en vérifiant qu'il possède un esprit start-up, c'est-à-dire adaptable et évolutif et qu'il pourra être performant dans cet environnement-là. Jusqu'à présent nous n'avons pas eu à déplorer d'échecs. »
Dans la tourmente, nombre de DRH préfèrent recourir à la mobilité interne, tant pour des raisons économiques et de fidélisation des salariés que parce qu'elle fait appel à des profils connus. Néanmoins, un échec dans l'enceinte de l'entreprise n'est pas moins dommageable : démotivation de l'intéressé, propagation de rumeurs néfastes, image peu valorisante de la gestion des emplois et des compétences mise en place par l'entreprise, chute des candidatures internes, départs accélérés des meilleurs éléments... Ainsi, un nombre croissant d'employeurs ont recours à des « assessment centers ». Ces outils, mis au point par l'armée allemande avant la Seconde Guerre mondiale, permettent, au gré de mises en situation, d'examiner les compétences d'un candidat. En témoigne La Poste, qui a élaboré deux « assessment centers » à destination de ses hauts potentiels. « Il s'agit d'une batterie d'entretiens et de mises en situation très intenses, sur plusieurs jours, avec des consultants de haut niveau. Ils ne ménagent pas le candidat pour évaluer ses compétences en matière de hauteur de vue, d'ambition, d'endurance ou encore de force de conviction, témoigne Régis Lozet, directeur de la gestion des dirigeants à La Poste. Il arrive que nous constations des écarts entre la perception préalable des aptitudes de certains et la réalité. Ce dispositif a comme grand mérite d'éviter les erreurs de casting. Et il permet, pour les intéressés, la mise en place de démarches d'accompagnement appropriées du type coaching ou formation au management. »
Droit à l'erreur
Néanmoins, si sophistiqués soient-ils, les outils ne résolvent pas tout. « Notre philosophie est qu'un manager doit assumer la responsabilité de son recrutement et ne pas se réfugier derrière un processus qui n'aurait pas fonctionné ou une équipe RH qui aurait mal accompli sa mission. A condition, bien entendu, que sa hiérarchie lui concède le droit à l'erreur », estime Pierre-Olivier Landry, DRH Europe Moyen-Orient et Afrique du spécialiste des centres d'affaires Regus, qui ouvre 50 centres par an et recrute en conséquence. Et certaines embauches se soldent inévitablement par des échecs. Car, tempère David Guillocheau, directeur du cabinet de conseil Talentys, « tout recrutement comporte un risque, à moins de cloner ses «top performers» ou de rester confiné dans un périmètre minuscule ».
Article source : http://www.lesechos.fr/management/actu/4818957.htm?xtor=RSS-2069